De l’art des fous à l’art psychopathologique
À l’image de ce jardin extraordinaire dessiné par Charles Schley dans les années 1960, la nouvelle exposition du Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne nous invite à regarder les œuvres sous le prisme du seul jugement esthétique et non pas de projections subjectives.
Le Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (MAHHSA), labellisé en tant que Musée de France en 2016, abrite la Collection Sainte-Anne. Celle-ci est gérée par une association, reconnue d’utilité publique, le Centre d’Etude de l’Expression, qui est un lieu d’enseignement, de recherche, de documentation et de conservation de cette collection institutionnelle.
La collection comporte deux fonds, l’un composé de peintures et dessins anciens, et l’autre qui rassemble près de 70.000 œuvres réalisées dans des ateliers thérapeutiques depuis 1950.
La précédente exposition du MAHHSA, qui s’est tenue à l’automne 2018, était centrée sur l’Exposition internationale d’art psychopathologique organisée à l’hôpital Sainte-Anne en 1950. Cet événement majeur du milieu du XXe siècle vit un engouement des psychiatres, comme du monde artistique, pour cet art dit psychopathologique, point de départ de nombreuses interrogations et recherches, mais aussi de préjugés.
Déconstruire les préjugés sur « l’art des fous »
Cette nouvelle exposition se situe dans la logique de l’évolution de la constitution de la collection Sainte-Anne entre 1960 et 1970. Sans en avoir l’air, cette exposition prend prétexte d’un dialogue entre histoire de l’art et histoire de la psychiatrie pour mieux réintégrer les œuvres exposées dans le critère commun de l’esthétique.
Car, il ne faut pas se fier, ni au lieu, ni (complètement) au nom de cette nouvelle exposition du MAHHSA. Il s’agit là de montrer une production artistique, certes réalisée au cours d’hospitalisations, mais sans présupposé psychiatrique ou esthétique. Autrement dit, ces œuvres, nées souvent d’une nécessité impérieuse de créer et qui s’inscrivent dans l’histoire de l’art, sont présentées pour ce qu’elles sont.
Au travers d’un parcours faussement chronologique, cette exposition permet de poser quelques questions essentielles sur le processus de création et la nature de l’œuvre d’art. Dans l’expérience esthétique kantienne, ce qui d’ordinaire s’oppose (la sensibilité et l’intelligence, l’imagination et l’entendement) s’accorde dans un libre jeu des facultés humaines. Il n’en semble pas autrement des artistes dont il est question ici. Leurs œuvres ne sont manifestement pas réductibles au contexte psychopathologique de leur production. Des œuvres qui permettent de réfléchir selon Anne-Marie Dubois, responsable scientifique du MAHHSA, « à la permanence de la partie saine et créative de ces malades-artistes, quelles que soient les conditions de la réalisation de leurs œuvres. »
Ce qui n’empêche : le parcours de l’exposition s’inscrit totalement dans le parcours historique de la psychiatrie dans la seconde moitié du 20e siècle, à une époque où l’idée dominante était que le malade projetait quelque chose de son état psychique dans ses œuvres.
Entre histoire de l’art et histoire de la psychiatrie
Les œuvres présentées dans la première salle ont été réalisées principalement par des malades qui ont amené avec eux leur culture artistique et l’ont perpétuée au cours de leurs hospitalisations. Ainsi, il est impossible de ne pas voir l’influence de Matisse dans certaines œuvres de Jean Janès, qui fréquenta le milieu artistique de Montmartre, ou celle de Cézanne dans le travail de Charles Levystone, qui avait fréquenté les Beaux-Arts avant sa maladie.
La deuxième salle fait la part belle à des malades qui ont découvert un goût artistique dans l’institution psychiatrique, au cours des premiers ateliers d’art-thérapie qui virent le jour dans les années 1950. C’est le cas de Noëlle Defages, Christine Rabereau ou Solange Germain qui, en parallèle de ses hospitalisations, continua sa pratique artistique à l’extérieur de l’hôpital comme un nouveau projet de vie.
Le parcours de l’exposition s’achève avec les œuvres de Charles Schley, interné pour la première fois en 1929 et au moins jusqu’à la fin des années 1960. Est-ce parce qu’il a traversé le 20e siècle, et ainsi l’histoire moderne de la psychiatrie, que son œuvre nous interpelle tant ? Non, c’est avant tout un style propre et une imagination féconde. L’univers développé, le plus souvent au crayon de couleur, témoigne d’une grande richesse poétique empreinte de fantastique. Il est souvent commenté par des mots insérés au cœur même de l’image.
Des artistes à la singularité passionnanteAlors, donnons-lui le dernier mot : « Tous ses Dessin correspondes à la facultée De pensée et Du génie qui les à créer et du degrée D’inspiration de l’artistes et Du peintres Dessinateur qui les créas la beauté créer par la main des Hommes faceauner par des main agiles et expertes dans l’âres omangie inspiratrices D’idées fécondes et riches de ses Vertues ».
À ceux qui voudraient trouver une interprétation psychanalytique à l’usage erratique du pluriel et de la majuscule dans ces écrits, Anne-Marie Dubois nous rappellera simplement le faible niveau d’éducation de Charles Schley qui quitta l’école à 13 ans sans avoir obtenu son certificat d’études primaires…
Manière polie de dire qu’il n’y a, ni art des fous, ni art psychopathologique, ni interprétation subjective pertinente (n’en déplaise aux professionnels du marché de l’art qui en font leur commerce), ni Graal de l’art brut. Seulement des artistes qui expriment leur singularité et nous interpellent.
Matthieu Péronnet
À découvrir sur Artistik Rezo : “Spirit, l’esprit des choses” aux Musée & Jardins Cécile Sabourdy, de Matthieu Péronnet.
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